Stations radioélectriques et sécurité publique
Urbanisme : naviguer entre développement technologique et sécurité publique
Les débats autour de l'installation des antennes relais sont souvent source de tensions entre le besoin de modernisation technologique et les préoccupations concernant d’éventuelles atteintes à la salubrité ou la sécurité publique. Les autorités locales jouent un rôle clé dans cette question, en particulier lors de l’instruction des demandes d’autorisation d’urbanisme via l’application de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, qui leur confère un pouvoir de contrôle sur les projets de construction pouvant affecter la salubrité ou la sécurité publique.
L'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : à quoi ça sert ?
L'article R. 111-2 du code de l'urbanisme permet aux maires de s’opposer à une demande d’autorisation d’urbanisme ou l’assortir de prescriptions spéciales quand un projet de construction présente des risques pour la salubrité ou la sécurité publique. L'objectif de cet article est de garantir que les infrastructures, comme les antennes relais, puissent ainsi s’implanter sans risque pour la population mais il n’équivaut pas pour autant à un blanc-seing donné à l’administration pour refuser de tels projets.
Responsabilités et pouvoirs des maires
Si les maires peuvent refuser des autorisations de construire au motif d’une atteinte à la salubrité ou la sécurité publique, ce pouvoir n'est pas absolu et doit être exercé avec une grande prudence. Des preuves concrètes et circonstanciées sont nécessaires pour justifier une telle décision. Cela signifie qu'une simple inquiétude ne suffit pas ; il faut des éléments tangibles pour étayer les craintes. Ces mêmes considérations s’appliquent également aux administrés qui souhaiteraient faire un recours pour contester une autorisation d’urbanisme délivrée par une commune.
Le principe de précaution
Le principe de précaution, inscrit dans l'article 5 de la Charte de l'environnement (LOI constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005), permet d'agir face à des risques incertains mais potentiels. Toutefois, son application reste strictement encadrée. Le Conseil d'État, depuis 2012 a notamment précisé que les maires ne peuvent pas "refuser légalement la délivrance d'une autorisation d'urbanisme en l'absence d'éléments circonstanciés faisant apparaître, en l'état des connaissances scientifiques, des risques, même incertains, de nature à justifier un tel refus". Ainsi, dans cet arrêt, le Conseil d’Etat précisait que le Maire de la Commune de Noisy le Grand avait seulement invoqué des risques incertains "sans rechercher si des éléments circonstanciés étaient de nature, en l'état des connaissances scientifiques et des pièces versées au dossier, à justifier qu'il soit fait opposition à la déclaration préalable".
Exemples jurisprudentiels
Depuis 2012, la jurisprudence est constante en la matière et plusieurs jugements récents viennent illustrer comment les tribunaux appliquent ce principe.
- TA Melun, 21 novembre 2024, n°2211867 opposant les sociétés Cellnex et Bouygues Telecom à la commune du Kremlin Bicêtre
- Le tribunal annule un refus d’autorisation d’urbanisme faute d’éléments probants en précisant « .. en se bornant à renvoyer à ces éléments et à indiquer que le projet se situe à proximité d'une médiathèque et d'un conservatoire de musique, alors au demeurant que les sociétés requérantes se prévalent de multiples rapports et études aux termes desquels les risques sanitaires liés aux ondes émises par les sites de radiotéléphonie ne sont pas établis, la commune ne saurait être regardée comme apportant des éléments circonstanciés quant à l'existence, en l'état des connaissances scientifiques, de risques mêmes incertains de nature à justifier sa décision ».
- TA Clermont-Ferrand, 7 novembre 2024, n°2102778
- Rejet du recours d’un riverain opposé à la commune d’Allanche, le Préfet du Jura et la société Orange en raison de l’absence d’éléments circonstanciés révélant un risque pour la sécurité publique « En l'espèce, en se bornant à soutenir que l'antenne se situe à une distance inférieure à 130 mètres des habitations, le requérant ne se prévaut d'aucun élément circonstancié de nature à révéler l'existence d'un risque en matière de sécurité ou de salubrité publique et d'une erreur manifeste d'appréciation dont serait entaché l'arrêté en litige sur ce point. Il s'ensuit que le moyen tiré de ce que l'arrêté serait contraire au principe de précaution doit nécessairement être écarté. »
En l'absence de preuves robustes, les tribunaux rejettent systématiquement ces recours et tendent à favoriser le développement technologique supporté par les projets d’antennes relais.
Sécurité publique et antennes relais : Autres risques sécuritaires ?
Outre les questions sanitaires (nocivité ondes, EHS...) l’article R 111-2 du code de l’urbanisme est souvent invoqué pour des préoccupations de sécurité publique liées notamment aux conditions d’accès à un site (ex : dangerosité pour la circulation), à un risque d'incendie (ex : implantation antenne 4G, 5G dans une zone boisée) et peut servir ainsi de fondement à un refus d’autorisation d’urbanisme et à un recours de riverains. Encore une fois, il ne suffit pas pour une Mairie ou un riverain d’alléguer un tel risque mais d’apporter des preuves concrètes et circonstanciés.
Exemples jurisprudentiels :
- TA Toulon, 12 novembre 2024, n°2201206
- Le tribunal juge que la mise en place de mesures de prévention adéquates élimine le risque perçu d’incendie et rejette le recours d’un riverain « Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que le projet qui porte sur une installation technique de service public d'intérêt général et prévoit autour de l'antenne une zone de débroussaillement, serait de nature à augmenter la vulnérabilité du secteur au risque d'incendie. Par suite, le maire de la commune du Beausset n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation au regard des exigences de la sécurité publique prescrites par l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme. »
- TA Montpellier, 31 octobre 2024, n°2302200 opposant Bouygues Telecom et Cellnex France à la Commune de Saussan.
- L’absence d’accès significatif au site de l’antenne relais ne constitue pas, en soi, un motif valable de refus si des alternatives viables existent.
Implications pratiques
Pour permettre le déploiement d'une station radioélectrique (4G, 5G) dans les meilleures conditions possibles, un dialogue constant entre les opérateurs (SFR, Bouygues, Orange, Free Mobile) et les collectivités locales est essentiel. C’est notamment dans ce cadre que les responsables des relations territoriales des différents opérateurs ont un rôle important à jouer avec les collectivités.
Les difficultés rencontrées peuvent être multiples :
- collectivité hostile aux installations par crainte d’une levée de boucliers des administrés (nuisance, nocivité et danger souvent allégués)
- volonté de la Mairie de préserver un site spécifique,
- manque d’information de la Mairie (absence de dépôt du DIM)
- …
Les développements futurs devront donc continuer à trouver cet équilibre délicat entre innovation technologique et respect des préoccupations publiques.
La transparence pourrait être prochainement renforcée en cas de vote de projet de loi de simplification de la vie économique adopté par le Sénat le 22 octobre 2024 et transmis à l'Assemblée Nationale le 23 octobre puisque ce dernier prévoit de modifier le II de l’article L. 34‑9‑1 comme suit :
Le premier alinéa du B est complété par une phrase ainsi rédigée : « Il est justifié de la transmission du dossier d’information dans le cadre du dépôt de la demande d’autorisation d’urbanisme ou de la déclaration préalable. »